J’ai assisté aux deux premières soirées de ce passage qui étaient également les deux premières prestations de ce groupe. La disposition sur la minuscule estrade était la suivante : A droite, le dos au mur, perpendiculaire par rapport à l’estrade, l’orgue ; juste devant l’orgue, au fond de l’estrade la cabine " Leslie " ; devant elle, Stan Getz debout et à gauche de l’estrade, la batterie. Comme il n’y avait pas assez de place, René Thomas était assis sur la cabine " Leslie " dont on connaît la puissance et les effets de moteur !

Le vendredi soir était en fait une répétition publique avec seulement quelques thèmes habituels du trio appropriés par Stan Getz, de mémoire " Dum dum dum " et " Our kind of Sabi " de Eddy Louiss et " Theme for Manuel " de René Thomas.

Le Samedi soir, le club était bondé jusqu’en haut des marches (Come back de Stan Getz oblige !). J’étais assis à la première table juste devant le " Leslie " et donc René et au dernier set, Jean-Louis Chautemps qui jouait alors dans l’orchestre des " Folies Bergères " est venu s’asseoir à côté avec la chanteuse-meneuse de revue Zizi Jeanmaire. André Ceccarelli remplaçait Bernard Lubat ce soir là. Il y avait de l’électricité dans l’air et René était déchaîné, prenant d’énormes risques et s’arrêtant même une fois au terme d’une montée vertigineuse déclenchant l’approbation de la salle. René utilisait bien sûr sa Gibson 150 baptisée " Bébelle " et il avait collé un morceau de chewing-gum sur la barre du micro à barrette (dit micro Charlie Christian) juste en dessous de la corde de si qui il est vrai a tendance à la guitare électrique à sonner trop fort. Le répertoire n’était pas encore rodé et le groupe jouait des standards.

Juste avant le premier set, René a interpellé " Stan, Stan " et a commencé à jouer les quatre premières mesures de guitare du thème de Jimmy Raney " Parker 51 " construit sur les harmonies de " Cherokee " et enregistré par Stan Getz et Jimmy Raney lors des fameux enregistrements du " Storyville " de Boston en octobre 1951 ; mais Stan Getz devait répondre " No, no ". Le groupe a un moment entamé " Four on six " de Wes Montgomery que Stan Getz ne connaissait pas et Stan a immédiatement exposé en surimpression le thème de Gerswin " Summertime " sur les harmonies duquel " Four on six " est effectivement construit, déclenchant le rire de René et de Eddy. Plus tard dans la soirée, Stan a démarré sur " Get happy " que manifestement Eddy Louiss ne connaissait pas et alors que Eddy se contentait d’assurer une ligne de basse, René qui connaissait ce standard a superbement accompagné Stan Getz et à la fin du thème il jubilait en disant à Eddy : " Tu ne le connaissais pas hein, tu ne le connaissais pas ! ". J’avais avec des amis musiciens réussi à aborder René à la seconde pose dans la petite salle derrière la voûte au pied de l’escalier et lorsque je lui avais dit que nous jouions régulièrement ses compositions " Meeting " et " I remember Sonny ", il m’avait alors instamment demandé de systématiquement les déclarer pour les droits d’auteur en ajoutant que lui déclarait d’ailleurs toujours " Nuages " qu’il ne jouait jamais pour que la veuve de Django puisse percevoir des droits d’auteur !

MUSICIENS : René Thomas (guitar) , Stan Getz (tenor sax) , Eddy Louiss (organ) , Bernard Lubat (drums)